Les Mules de Marius au XXIème siècle

Par • Publié dans : Histoire vivante

Sept jours de marche, sept jours d’expériences et de souffrances : la Marche Historique 2015 a été l’occasion de valider les connaissances accumulées lors des 3 marches expérimentales précédemment réalisées  par l’association Legio VIII Augusta. 6 légionnaires romains, un centurion et trois muletiers ont marché les 125 km séparant Bibracte d’Alésia pendant 6 jours, auxquels il faut rajouter 7 km de trajet répartis entre Autun et le Mont Beuvray.

Le parcours prévoyait sur les premiers jours des étapes très longues et difficiles, souvent par des chemins impraticables à fort dénivelé. Seule la météo a été du côté des légionnaires, les températures étant presque toujours clémentes et la pluie absente.

Qu’avons-nous appris de cette aventure ?

Marche Historique et Marche Expérimentale

Lorsque le général Marius eut l’idée géniale de faire porter à ses soldats leur propre équipement, il ne se doutait pas que ces légionnaires d’un genre nouveau allaient hériter du sobriquet de « Muli Mariani », les mules de Marius. En effet, c’est avec la forte volonté de réduire au maximum la logistique imposante que représentait le train de bagages des légions que Marius procéda à cette réforme : avec moins de mules et de bœufs, l’armée romaine était bien plus rapide et efficace.

Nous connaissons tous les résultats de cette réforme : Rome est devenue dès lors la plus formidable machine de conquête de l’Antiquité. Mais concrètement, comment le soldat portait-il tout son équipement ? Les textes antiques sont muets, les représentations iconographiques sommaires. Le quotidien des hommes de l’Antiquité n’intéressait que fort peu les savants de l’époque. Nous ne pouvons pourtant pas leur jeter la pierre, le portage de l’équipement devant leur sembler une évidence absolue.

Début du parcours, devant le Murus Gallicus de Bibracte.
Début du parcours, devant le Murus Gallicus de Bibracte.

Expérimentations

On savait ce que l’homme devait porter, mais on ne savait pas comment. Seule la colonne Trajane en donne une idée, vague et imprécise. L’artiste n’avait probablement jamais vu de soldat en marche. Pour mieux connaître le légionnaire et son équipement, plusieurs expériences ont été réalisées par le passé, mais n’étaient pas définitivement concluantes. Il manquait une donnée fondamentale : l’épreuve d’endurance.

En ayant cela en tête, la Legio VIII Augusta a réalisé trois marches expérimentales, réparties sur trois ans. Ces marches, chacune d’une durée d’une semaine, ont mis l’homme du XXIème siècle dans les mêmes conditions que son lointain ancêtre romain : 30 à 40 kg à porter, sur une vingtaine de kilomètres par jour, avec un équipement reconstitué le plus fidèlement possible.

Les trois marches ont été riches d’enseignements, transmis d’année en année aux nouveaux marcheurs. Mais, malgré les avertissements des anciens, certaines erreurs ont été invariablement répétées. Il faut croire que seul le vécu peut réellement sensibiliser aux problématiques inhérentes à une marche « à la romaine ». Ce n’est sans doute pas un mystère si, pour la Marche 2015, seuls ceux qui avaient participé à l’édition précédente (2012) ont pu l’accomplir dans sa globalité.

Quand on marche sur des kilomètres, le moindre détail compte, et ce qui parait complètement anecdotique sur une heure ne l’est plus du tout sur dix.

Le poids du paquetage
Le poids du paquetage

Si la marche avait été effectuée avec des équipements modernes, son intérêt aurait été considérablement amoindri. Un sac à dos, même faisant 40 kg, et autrement plus simple à porter que le paquetage du légionnaire. Des chaussures de randonnée sont autrement plus confortables que les caligae, tout du moins pour l’homme d’aujourd’hui. Cette différence dans les équipements provoque bien des surprises, certains marcheurs, même si habitués aux grandes randonnées lourdement chargées ont été confrontés au matériel des légionnaires romains : répartition des charges, frottements, ampoules, semelles, praticité des gourdes…

Les mules

Même si le nombre d’animaux accompagnant les légions a été fortement réduit par les réformes de Marius, il y en avait toujours. On compte environ d’une à deux mules par « contubernium », le groupe de légionnaires partageant une même tente. Elles sont chargées de porter tout ce qui est trop lourd pour un légionnaire seul : la tente, la meule pour faire de la farine, des vivres supplémentaires… Ces animaux conditionnent la marche d’une légion, d’où l’importance d’en faire également un objet d’étude. En 2015, comme pour la marche 2011, deux mules ont accompagné nos légionnaires marcheurs. Ces jeunes mules, habituées aux légionnaires, sont les mêmes qu’en 2011, à la différence que cette fois, elles sont adultes et portent des bâts adaptés.

La marche, une véritable épreuve physique

Notre marche se déroulait sur 7 jours au total, le premier étant un « tour d’échauffement » de quelques kilomètres. La plupart des marcheurs s’étaient entraînés avant de venir, avec notamment la marche « les Trompettes de Mars » à Samara presque deux mois auparavant, sorte de répétition pour la Marche Historique 2015.

Les mules bâtées et leurs muletiers
Les mules bâtées et leurs muletiers

Les pieds du marcheur

Pour l’homme actuel, son principal adversaire lors d’une telle marche est à n’en pas douter la fragilité de ses pieds. Tous les marcheurs sont unanimes : nous n’avons pas la corne des Romains.

Entendons-nous bien : les problèmes n’arrivent pas immédiatement. Ce n’est qu’au bout du deuxième ou troisième jour que l’on ressent les véritables difficultés. C’est la répétition du choc, du frottement, sur de très longues périodes qui est éprouvante. Tous les marcheurs n’ont pas réagi de la même façon, tous n’avaient pas la même préparation ou équipement.

Pour éviter les ampoules, la meilleure solution semble avoir été l’utilisation quotidienne d’une crème anti-frottement. En simulant au mieux la corne des pieds du légionnaire romain, on parvient à un résultat satisfaisant. Mais les difficultés aux pieds ne sont pas faites que d’ampoules. La plupart des marcheurs avaient des caligae aux semelles fines, qui transmettaient à la voute plantaire la moindre aspérité du sol, ou, pire, les bosses dans la semelle provoquées par les clous des propres chaussures. Pour comprendre le problème, il suffit de s’imaginer en train de marcher sur de nombreux petits cailloux pieds nus avec sur le dos 40 kg. Une solution passe, très simplement, par avoir des caligae aux semelles plus épaisses.

Ampoule en cours de soin
Ampoule en cours de soin

Le poids du paquetage et des armes est également problématique pour les pieds. Il se répercute entièrement sur les talons, qui propagent les chocs à chaque pas dans tout le corps. Ici, nous avons encore une spécificité de l’homme du XXIème siècle : nous marchons aujourd’hui beaucoup plus sur les talons. Dans l’Antiquité et jusqu’à une époque pas si lointaine, nos ancêtres marchaient en appuyant moins sur les talons, en utilisant davantage la plante des pieds. Ceux qui pratiquent la course à pieds-nus le savent bien : la démarche est plus féline, l’amorti se faisant sur la voute plantaire plutôt que sur le talon, traumatisant ainsi moins le corps.

Les pieds, une fois touchés, peuvent décourager même le plus aguerri des marcheurs. À tel point que l’un d’eux a dû s’arrêter une journée, le temps de récupérer et de se soigner. Pour le mental, une douleur au pied qu’on ne peut oublier, toujours présente à chaque pas, c’est très dur. En outre, la démarche change, on essaye de s’adapter au mieux pour avoir le moins mal possible, mais ceci peut provoquer d’autres lésions à des endroits différents du corps…

Les pieds des marcheurs, meurtris par les chaussures.
Les pieds des marcheurs, meurtris par les chaussures.

Un dernier petit détail, très connu de tous les randonneurs : le caillou dans la chaussure. Détail anodin de premier abord, il devient vite problématique lors d’une marche où on ne veut pas ou on ne peut pas s’arrêter. « Petit caillou pointu » se dit en latin « scrupulus », ce qui a donné le mot français « scrupule ». La petite pierre qui gêne la marche du légionnaire, ou le scrupule qui empêche aujourd’hui d’avancer dans un projet…

Douleurs musculaires

Les muscles ont été mis à rude épreuve. Ce sont eux qui obligeaient à faire des pauses lors de la marche. Pour comprendre, il suffit de penser à la musculation : on arrive à faire un certain nombre de pompes par exemple, mais à un moment donné, les muscles n’y arrivent plus. Pour la marche, c’est la même chose, mais les muscles qui lâchent ne sont pas forcément ceux que l’on croit.

Aux jambes, ce sont en grande partie les mêmes muscles que l’on utilise quand on fait une grosse montée à vélo qui sont sollicités. Le poids du paquetage et le dénivelé nous le font ressentir. Avec les jambes, les muscles qui sont les plus sollicités sont les trapèzes. C’est sur eux que repose le poids du paquetage et du bouclier.

Pour éviter au maximum les douleurs, nous avons bu beaucoup d’eau. Les gourdes et autres outres étaient lourdes, mais chaque goutte d’eau était utile. La plupart des marcheurs a préféré avoir du poids supplémentaire en eau. Sur une journée où il faisait chaud, un marcheur pouvait boire jusqu’à 7 litres.

Le chemin de randonnée ressemblait souvent plus à un champ de pommes-de-terre...
Le chemin de randonnée ressemblait souvent plus à un champ de pommes-de-terre…

L’alimentation n’était pas en reste, chaque marcheur emmenant avec lui de quoi se restaurer : des fruits, permettant d’obtenir le sucre nécessaire (figues, abricots secs, pommes…), mais aussi du fromage, du pain ou des viandes séchées, permettant ainsi au corps de récupérer les sels minéraux perdus dans la transpiration.

La fatigue

L’accumulation de fatigue est l’autre grand adversaire du marcheur. Un grand sportif, après avoir couru son marathon, se repose le lendemain. Ici, pendant la marche, il n’y a pas de repos autre que la simple nuit de sommeil. Pas de temps mort, pas de temps pour véritablement récupérer de la fatigue qui s’installe. Le couchage est alors essentiel, mais, ici encore, il n’a jamais été idéal : nous dormions en conditions de camping rustique, sacs de couchage et lits de camp, le plus souvent sous la tente, dans les nuits fraîches du Morvan.

Cette fatigue peut également être exacerbée par les nouveaux horaires provoqués par la marche : les marcheurs n’étaient pas tous habitués à se lever systématiquement à 6 h du matin, la fatigue pouvant alors s’assimiler à celle du décalage horaire.

Légionnaires en marche
Légionnaires en marche

Le corps met trois ou quatre jours à s’adapter à ces nouvelles difficultés. Ce sont ces premiers jours qui sont cruciaux pour le mental. L’état de grande fatigue ne se perçoit pas forcément consciemment. Ce n’est qu’en marchant que l’on peut vraiment se rendre compte qu’on n’est pas au mieux de sa forme, en manque de souffle. Deux des marcheurs se sont arrêtés, le souffle coupé : seule une bonne nuit de repos et une étape raccourcie leur ont permis de récupérer.

Adaptation du corps

Le corps s’adapte, et les données que nous avons récupérées sur nos montres GPS avec cardiofréquencemètre le démontrent parfaitement. Les muscles s’habituent à l’effort, ils récupèrent de plus en plus vite, en cela bien aidés par quelques massages.

Malgré la difficulté, les pauses permettaient de finir les étapes. Sur une étape compliquée comme celle séparant le théâtre des Bardiaux du lac des Settons (jour 3) nous avons effectué 12 pauses sur les 24 km parcourus en 9 h 45 m. Il s’agissait de pauses courtes, majoritairement entre 5 et 15 min, hormis la pause du midi, de 40 min.

On note sur ce graphique toutes les pauses du troisième jour : elles correspondent aux zones blanches où l'allure est arrêtée. Elles ont habituellement lieu après une fort dénivelé, marqué ici en vert.
On note sur ce graphique toutes les pauses du troisième jour : elles correspondent aux zones blanches où l’allure est arrêtée. Elles ont habituellement lieu après une fort dénivelé, marqué ici en vert.

Il est difficile de comparer les pauses sur deux parcours, chaque étape étant très différente, mais la tendance générale sur les 7 jours était à une réduction du nombre d’arrêts et de leur durée. Pour la dernière étape, sur les 15 km entre Marigny-le-Cahouët et Alésia, nous nous sommes arrêtés 6 fois, la pause la plus courte ne faisant que 2 minutes (ajustement d’équipement) et la plus longue, imposée, faisant 50 min : il s’agissait de notre rencontre avec le public à Venarey-les-Laumes.

En omettant le premier jour, une étape très courte et relativement simple à franchir, la vitesse moyenne de notre petit groupe de marcheurs en déplacement est de plus en plus rapide : 3,2 km/h au deuxième jour, 4,1 km/h au septième et dernier jour. Le rythme cardiaque aussi s’améliore, tout du moins pour le légionnaire Silva, avec en moyenne 109 pulsations par minute au troisième jour et 88 seulement au dernier jour : presque une promenade, à mettre en parallèle avec les 118 pulsations par minute du premier jour.

Cette adaptation explique peut-être en partie pourquoi les anciens marcheurs ont mieux résisté que ceux qui empruntaient en caligae les chemins du Morvan pour la première fois.

La souffrance de l’équipement

En plus d’être inadapté au marcheur moderne, l’équipement est relativement fragile. C’est ici que l’expérimentation lors d’une marche prend toute son importance : il permet d’améliorer progressivement le matériel et de mieux comprendre le fonctionnement des objets de l’Antiquité. Quand quelque chose casse, il faut réparer, et tenter d’éviter au maximum un désagrément futur, tout en optimisant son confort.

Pourquoi est-ce qu’un objet casse ? Parce qu’il était trop fragile ? Parce qu’il n’était pas correctement porté ?

Les chaussures

Nous avons expérimenté plusieurs types de chaussures, que ce soient des « calcei » (chaussure fermée) ou des caligae, faites par des artisans sur mesure ou à la chaîne. Toutes sont cloutées.

Les caligae fabriquées à la chaîne par des artisans en Inde, confortables au début de la marche, se dégradent rapidement, devenant pratiquement inutilisables dès le 4ème jour. Les clous s’usent très vite, surtout en marchant sur des surfaces dures comme le goudron ou des chemins caillouteux. Le cuir de la semelle, très fin, se déforme très rapidement et épouse la forme des clous. Finalement, le talon n’étant pas renforcé, il se déforme, provoquant le recul du pied dans la chaussure : on finit par ne plus marcher tout à fait sur la semelle.

Une chaussure fabriquée en Inde, après trois jours de marche.
Une chaussure fabriquée en Inde, après trois jours de marche.

Les caligae fabriquées sur mesure, malgré un confort bien supérieur, souffrent également, pour les mêmes raisons : le talon recule et les clous, inadaptés, s’usent trop vite.

Les calcei « indiennes », avec le talon renforcé, maintiennent bien le pied à l’intérieur de la chaussure. Ici, c’est encore une fois un problème de clous, trop fragiles, auquel s’ajoute un problème de couture : un marcheur a vu l’une de ses calcei s’ouvrir, le cuir se désolidarisant de la semelle.

Les calcei « sur mesure » sont, de l’avis du marcheur qui les portait, « un véritable chausson ». Des clous de bien meilleure qualité, plus gros et nombreux, font sans doute toute la différence, ainsi qu’une semelle bien renforcée. Le cuir utilisé était en revanche trop fin, des marques de dégradation se présentant assez vite sur le dessus.

Calcei fabriquée sur mesure.
Calcei fabriquée sur mesure.

Finalement, les meilleures chaussures ont été réalisées par un des marcheurs lui-même, le centurion. Connaissant très bien les problématiques rencontrées lors d’une marche et s’adaptant à sa propre morphologie, il a pu réaliser des caligae très résistantes et confortables. Mais il faut néanmoins relativiser : le centurion ne portait pas de paquetage.

C’est le poids que l’on porte en plus et son équilibrage sur le corps qui accélère la dégradation des chaussures. A l’avenir, l’usure provoquée sur les chaussures par les routes modernes devrait également être prise en compte, afin de compenser l’apparente fragilité des modèles antiques.

L'usure des caligae n'est pas la même suivant le poids du légionnaire, celui de droite pesant 10 kg de plus.
L’usure des caligae n’est pas la même suivant le poids du légionnaire, celui de droite pesant 10 kg de plus.

La casse et l’usure

Mis à part les chaussures, il n’y a pas eu beaucoup de casse d’équipement lors de ces 7 jours de marche, un des signes visibles que nous n’en étions pas à notre première marche. Même les « nouveautés » se sont révélées résistantes, comme ces sangles en laine pour porter le bouclier, en lieu et place des sangles de cuir.

Nous avions trois types de « casse » : celles provoquées par l’usure, celles provoquées par accident, et celles provoquées par un matériel inadapté.

La casse par l’usure, notamment les clous des caligae, comme on l’a vu, soumis à rude épreuve lorsqu’ils frottent le bitume. Mais cette usure se révèle également sur le cuir, qui, à force de frotter, fini par lâcher. Pour remédier rapidement à cela, nous avions de nombreux liens de cuir ainsi que du fil de lin épais, permettant de remplacer le cuir abimé.

La casse par accident peut être mise sur le compte de l’inadvertance du marcheur, qui va s’asseoir sans faire attention à son glaive ou qui va mettre son bouclier sans faire attention à ce qu’il porte. La précipitation est l’ennemie du matériel, la fatigue également : on est moins attentif.

Le matériel casse quand il n’est pas adapté à l’équipement restant. C’est par exemple le cas avec l’armure d’écailles, qui ne fait pas bon ménage avec les anneaux de portage du bouclier. Les anneaux, par où passent les sangles, se prennent dans les écailles.

Armure d'écailles endommagée par le bouclier.
Armure d’écailles endommagée par le bouclier.

L’équipement et la souffrance

Au-delà des chaussures, qui ont terriblement fait souffrir notre petit groupe de marcheurs, d’autres pièces d’équipement pouvaient se révéler gênantes. Les sangles de portage en sont l’exemple le plus parlant : le simple fait de les déplacer de quelques centimètres vers les épaules en les éloignant de la base du cou peut faire toute la différence entre un corps meurtri et un corps relativement en forme. Mais face à la théorie, parfois la pratique a du mal : comment équilibrer correctement tout l’équipement tout en conservant des sangles à des endroits adéquats pour le corps ?

D’autres éléments étaient à prendre en compte : nous portons des armures, en fer. Être simplement en contact avec tout ce métal peut blesser la peau. Ce n’est pas invalidant, mais pouvait à l’époque des Romains être un grand vecteur de maladies, le corps étant sensible aux infections, les germes et autres microbes pénétrant par la plaie. On mesure mal à quel point l’homme de l’Antiquité prenait toutes les précautions possibles pour ne pas se couper. Un indice toutefois : la « focale », un foulard noué autour du cou, supposé protéger le légionnaire des éventuelles blessures provoquées par l’armure.

Les cotes de maille pouvaient rouiller de façon impressionnante : la sueur agresse le fer.
Les cotes de maille pouvaient rouiller de façon impressionnante : la sueur agresse le fer.

Ce qu’on ne contrôle pas

La météo

Le Morvan est réputé pour son climat changeant, pouvant passer très rapidement à un temps très froid voire neigeux à un temps très chaud. L’amplitude thermique peut alors devenir un véritable embarras. Pour éviter au maximum cette forte variation, nous partions relativement tôt afin de profiter de la fraîcheur du matin, mais les fins d’étapes étaient toujours difficiles, souvent avec le soleil à son zénith.

Tout le monde le sait, il faut s’hydrater quand on fait de l’endurance, même sans avoir soif. Mais, bien que sachant cela, combien faut-il boire exactement ? L’eau est ici fondamentale, mais ce n’est pas simple de boire pendant que l’on marche, surtout avec des outres ou des gourdes bien moins pratiques que nos bouteilles modernes.

A l’arrivée de Saulieu, au quatrième jour, il faisait 29°C. Cette chaleur provoqua un début d’insolation sur l’un des marcheurs, qui fut forcé de s’arrêter et de se reposer le jour suivant. Il n’avait peut-être pas assez bu ? Parfois, un simple détail peut faire toute la différence : nous ne pouvions pas porter de chapeau de paille pour nous protéger du soleil, les bords des répliques de chapeau d’époque étant trop larges pour des personnes portant un bouclier dans le dos.

Et les mules ?

Les mules avaient très bien marché au début avec les légionnaires. Comme les hommes, elles étaient fatiguées et somme toute relativement peu habituées à ce type d’effort, mais c’est une autre raison qui les poussa vers la sortie : l’une d’entre elles était en chaleur.

Au troisième jour, c’était donc terminé, la mule en chaleur étant complètement ingérable. Elle s’enfuyait de son enclos la nuit pour aller retrouver les étalons du voisinage, les muletiers devant leur courir après en pleine nuit, muletiers qui n’étaient pas moins fatigués que les légionnaires marcheurs, au contraire.

Un muletier connaît un autre type de fatigue, ce ne sont pas les mêmes muscles qui travaillent. Il ne porte pas du poids sur le dos, mais doit contrôler une bête de 500 kg. Peut-être la vie des muletiers de l’Antiquité était-elle plus simple, les animaux de l’époque étant dressés pour la vie militaire, mais au XXIème siècle force est de constater qu’il n’y avait pas de solution pragmatique pour continuer la marche avec les mules. La décision fut donc prise de rapatrier les animaux. Le groupe gagna ainsi un nouveau marcheur légionnaire et un porteur d’eau.

Le porteur d'eau, sur la gauche, accompagne le petit groupe de légionnaires et leur centurion.
Le porteur d’eau, sur la gauche, accompagne le petit groupe de légionnaires et leur centurion.

Le facteur humain

Face à tant d’adversités physiques, comment est-ce que les marcheurs ont pu terminer cette longue épreuve de 7 jours ? Au-delà de la forme, d’un bon équipement ou d’une météo clémente, c’est le mental qui a tout permis.

Tout d’abord, le besoin d’arriver tous ensemble à destination était impérieux. Sur presque toutes les journées, un public passionné et attentif attendait les marcheurs. Impossible de les décevoir, il fallait arriver au but. Ce public, venu parfois encourager sur des portions du parcours complexes, était très motivant, faisant oublier la douleur et la fatigue : face à l’adversité, il faut garder bonne figure. Et la bonne figure, c’est d’arriver tous ensemble à destination, objectif plus important que l’arrivée individuelle.

C’est peut-être un peu cet état d’esprit qui motivait les légionnaires romains : il ne servait à rien d’arriver en premier sur les lieux de l’affrontement avec l’ennemi, il fallait y arriver en groupe pour avoir une chance de survie et de victoire.

L’unité de base de la légion, le contubernium, pouvait ici montrer toute son efficacité. Ce groupe de 8 légionnaires accompagnés de 2 hommes à tout faire devait bon gré, mal gré, s’assurer que la bonne entente régnait au quotidien.

Les marcheurs approchent de leur but, Alésia
Les marcheurs approchent de leur but, Alésia

La marche n’avait donc pas d’esprit compétitif, contrairement à ce qui avait pu se passer les années précédentes : tout le monde marchait ensemble, en permanence, la performance individuelle n’étant pas valorisée. Il faut dire que cette règle avait été rendue possible par un centurion aux commandes, attentif au groupe, car sans paquetage. Si quelqu’un marchait trop vite devant, il était vite rappelé à l’ordre. De même, si quelqu’un marchait trop lentement derrière, on allait voir pourquoi et tenter d’y remédier.

L’encadrement est donc, même sur un si petit groupe, un facteur vital permettant de conserver un collectif tout le long des 132 km de cette randonnée si spéciale.

Le soir venu, il était nécessaire de réparer la casse.
Le soir venu, il était nécessaire de réparer la casse.

Le soir, pendant la période de repos, le travail n’était pas terminé, le groupe continuant d’opérer. Ceux qui savaient faire des massages s’occupaient de leurs camarades, ceux qui savaient bricoler aidaient à réparer la casse. Un mot d’ordre : le respect mutuel. Il n’y a jamais eu, malgré la fatigue, de personnes en colère. Il n’y a jamais eu de tension au sein du groupe, juste un respect mutuel de marcheurs unis par la volonté de bien faire. Sans ce collectif, rien n’aurait été possible.

Pour en savoir plus : vidéo reportage en immersion de la marche 2015
Toutes les photos : Marche Historique 2015

Auteur : Jori

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